Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/331

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fresco et, pour aller au Lido ou chez les bons moines arméniens qui nous régalaient de raisin et de confitures en nous parlant de leur ancien ami, lord Byron. Je devinai que M. V… se lançait dans quelque aventure qui eût peut-être été vulgaire en terre ferme, mais dont la lagune, les escaliers dérobés qui descendent dans l’eau, l’architecture byzantine et les vieux lambris des siècles passés, faisaient une page poétique dans son voyage en Italie. Comme je ne craignais pas l’isolement, je laissais M. V… à ses affaires et j’allais aux miennes.

Un jour que je revenais de Saint-Roch par le canal étroit qu’on appelle le Rio Saint-Moïse, je me tenais debout dans la gondole, afin de mieux jouir de la procession de sujets d’aquarelle qui défilaient devant moi à chaque coup de rame. C’était le moment du riposo ; on n’entendait que le cri monotone par lequel les barcarols s’avertissent aux détours des canaux. Mon conducteur était un fort beau garçon de dix-huit ans, coiffé du bonnet noir des nicolotti et habillé d’une veste jaune à ramages, taillée dans quelque vieux rideau.

— Sior, me dit-il avec la prononciation efféminée de Venise, la conosse la storia di Zanze ?

— Qu’est-ce que l’histoire de Zanze ? répondis-je.

— Zanze ! reprit le garçon, en soupirant, bella storia ; la domandi al dottor B…

— Qui est ce docteur B… ?

— Xè un dottor inzegnoso. Farà piasere a lei.

— Et où pourrai-je trouver ce docteur ingénieux qui me fera plaisir ?

— Al caffé Florian.

— Je veux aller tout de suite au café Florian.— —