Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/332

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Si sior, ed io vad’al moi disnaretto.

— C’est cela ; tu iras, pendant ce temps-là, manger ton diminutif de dîner.

En arrivant à la Piazzetta, je donnai congé à mon gentil barcarol et je me rendis sous les galeries des procuratie au café Florian. Le bottega du café, à qui je demandai le docteur B…, me montra un vieux facchino, en manches de chemise, qui fumait à l’ombre d’un pilier. Je priai cet homme de me faire le récit vanté par mon gondolier.

— Ma, signor, me dit-il d’un air soupçonneux, tout le monde, ici, peut vous raconter cela aussi bien que moi. La Zanze est une pauvre dame qui vit encore, quoique très malade, et je n’ose me mêler de parler d’elle.

— Bah ! répondis-je, raconte toujours ; je suis étranger, je ne te dénoncerai pas.

L’illustre docteur m’emmena dans un coin des galeries ; nous nous assîmes sur un banc de pierre et il commença ainsi cette histoire, devenue populaire à Venise :

Votre seigneurie doit savoir que la plupart de nos filles du peuple s’appellent Zanze, c’est-à-dire Anzelina. Celle dont il s’agit était la plus belle de toutes. On peut voir son portrait au grand salon du palais ducal, dans la figure qui représente Venise personnifiée, avec des cheveux d’un blond de feu et une robe de soie magnifique. Nous autres, barcarols, nous ne savons pas si elle eut père et mère ; nous nous amusons à dire qu’elle est enfant de l’Adriatique. Les étrangers de tous pays s’accordent à l’appeler une enchanteresse. Autrefois, elle était enjouée, rieuse, folle des plaisirs, des cérémonies, des fêtes et