Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/344

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européen. Les Pantalons, les Tartaglia, les Trufaldins s’étaient envolés ; il ne restait plus qu’un pauvre Arlequin pour soutenir le théâtre Malibran que la bonne compagnie ne daignait pas fréquenter. Naples, seule, a conservé ses spectacles nationaux. On jouait partout la tragédie, le drame français traduit et le vaudeville arrangé sans couplets. Le Gamin de Paris, représenté par une jolie actrice, pouvait offrir quelque amusement et le général de l’empire, accommodé à l’italienne, eût déridé un cholérique ; mais cela était bon à voir une fois. Les grands acteurs tragiques sont rares en tous pays ; la réputation de Modena méritait un examen sérieux. Nous allâmes donc au théâtre Re, nous mêler à un public intelligent et choisi.

Modena paraît avoir cinquante ans et ressemble beaucoup au portrait de Jean-Jacques Rousseau. Son visage jouit de cette mobilité excessive particulière aux hommes du Midi. Tout en réglant ses gestes, il cède encore, malgré lui à la pétulance causée par la chaleur du sang et cette organisation que nous appelons : en dehors, lui rend plus difficiles qu’on ne le pense ces rôles concentrés qui reviennent si souvent dans les ouvrages français. Modena pourrait s’élever très haut dans les personnages d’Othello, de Tancrède, de don Juan d’Autriche et dans tous les rôles qui demandent plus de passion ou de brillant que de profondeur. Malheureusement, la mode des traductions du français l’oblige à se renfermer, sans cesse, en lui-même, contrairement à son naturel. A force d’étude et d’intelligence, il réussit à se dominer assez pour étonner le public italien qui n’est pas aussi accoutumé que nous à ces rôles concentrés.