Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/47

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réduit à une fraction des boulevards ; de même Naples n’existe pour le beau monde que de Tolède au bout de la Villa-Reale. C’est dans ce jardin, situé au bord de la mer qu’on se repose par un peu de calme et de silence ; partout ailleurs le vacarme est prodigieux. En entrant dans Tolède, vous ne voyez que des bouches ouvertes, des yeux animés, des chevaux au galop. On est toujours pressé. On court de toutes ses forces pour aller prendre une glace, pour demander le journal et lire la feuille des arrivées et départs, pour regarder les affiches de théâtre, pour mettre un terne à la loterie qui ne sera tirée que samedi prochain. On a raison ; la vie est courte, le temps précieux et le plaisir trop rare. Les fiacres, qui ne sont pas assujettis comme chez nous à des stations, circulent partout à vide et vous persécutent de leurs offres de services. Le passant qui prend une de ces calèches errantes s’y élance d’un bond, comme si l’ennemi le poursuivait. Le cocher fouette et se dépêche de mener son homme pour en chercher un autre. Les pauvres chevaux jouent des jambes sans rien comprendre à cette fureur d’aller vite. La dalle résonne comme le tonnerre. Les charrettes elles-mêmes vont à bride abattue, comme si la paille qu’elles portent devait sauver la vie à quelqu’un. Tolède n’a point de trottoirs et le cocher, une fois qu’il a mis sa conscience à l’aise en disant : « guarda ! » poussse en avant sans rien écouter, pressant contre la muraille des groupes de quinze personnes, ou renversant les chaises des bonnes gens qui prennent le frais et qui, de leur côté, voudraient occuper la rue entière. Au milieu de ce mouvement, tout s’arrange pour le mieux ; les cochers sont habiles et il arrive peu d’accidents.