Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/60

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son pays, l’une piémontaise, l’autre florentine, la troisième napolitaine. Le tour de la padrona di casa étant arrivé, elle déclara qu’elle voulait chanter un morceau de son compatriote Bellini. La voilà au milieu de la chambre, posée comme une prima donna et entonnant un récitatif de La Norma. Elle joua et chanta ainsi pendant une heure, passant d’un morceau à l’autre et s’animant toujours davantage. La voix était vibrante et l’accent passionné. Les décorations manquant à la scène, il fallait figurer un arbre druidique ; la cantatrice me prit impétueusement par la main et m’attira sur son théâtre où je représentai l’arbre de mon mieux. Cependant, lorsqu’elle vint m’adresser ses chants, gesticuler devant moi et se prosterner à mes pieds, elle avait tant de grâce et de naturel que je n’y tins plus ; j’abaissai mes rameaux, je la saisis par la tête et je l’embrassai. Elle éclata de rire et s’écria : l’albero si muove ! (l’arbre bouge !) Ainsi finit le spectacle. Ce qui donne tant de charme aux femmes italiennes, c’est leur simplicité, leur ignorance d’elles-mêmes, et une certaine bonhomie accompagnée de décence, ce qui est très rare dans le Nord. Celui qui repasse brusquement les Alpes et rentre en France tout à coup est frappé de cette arrière-pensée qu’on lit sur tous les jolis visages : « je suis belle, je le sais ; j’exploite ma beauté à mon seul profit, pour mon seul plaisir, la satisfaction de mon amour-propre et ma plus grande gloire ». Ainsi soit-il.