Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/59

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profit. Il n’a plus besoin de chanter. Attendons à l’année prochaine ; de nouvelles amours amèneront peut-être une autre chanson.

Les Italiens ne montrent pas seulement leur goût pour la musique par les airs populaires. Des hommes du peuple, qui assurément n’ont jamais été à San-Carlo, savent pourtant les morceaux de l’opéra du moment. Un ouvrier au travail chante la romance de Linda, bat la mesure avec son marteau ou sa pioche et ne manque pas la fioriture ajoutée par Madame Tadolini. Dans la rue de Tolède, le soupirail d’une cuisine vous envoie la fumée du macaroni mêlée avec un motif de la Somnambule ou de la Lucie. Des domestiques chantent l’air de Casta Diva en filant les sons et sans omettre les points d’orgue. Les blanchisseuses du Vomero chantent le motif de Bell’alma innamorata, précédé du récitatif, en savonnant le linge d’une foule d’étrangers qui ont l’oreille fausse et qui appellent les Napolitains des barbares.

Un de mes amis de voyage, que j’ai connu intimement à Naples pendant trois jours entiers et dont j’ai oublié le nom, m’avait invité à venir chez lui manger un rizotto. Il demeurait rue Guantaïa. Je trouvai un dîner somptueux au lieu du simple ragoût milanais auquel je m’attendais. La compagnie était composée de trois jeunes gens fort aimables avec qui je me liai fort ce soir-là et que je n’ai jamais revus, plus la patronne de la maison qui était une Palermitaine très gracieuse, vive comme le salpêtre et enceinte de huit mois. Le dîner fut gai. On servit d’excellents vins de Sicile et, au dessert, on chanta. Tous les convives avaient de la voix, excepté le signor français. Chacun paya son écot musical avec une chanson de