Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/67

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le fruit que le royaume de Naples a pu tirer de cette purgation violente et le service incontestable rendu aux voyageurs à venir, malgré le grand nombre des crimes prévenus, c’est un beau sujet à discuter que cette question : la parole d’un prince doit-elle être sacrée, même lorsqu’elle est donnée à des brigands ? Louis XIV aurait dit oui. Louis XI, moins glorieux et plus utile à son peuple, n’aurait pas manqué de répondre non.

Si les exécutions du Général Manès et les festins insidieux ont exterminé le brigandage, ils n’ont pas nui du moins à la mendicité. Des bandes de malheureux vous ferment le passage en demandant l’aumône, les uns avec des cris plaintifs, les autres plus gaiement, avec des grimaces et des gambades. A Ischia, on n’entend, d’un bout à l’autre de l’île, que ce mot répété à l’infini : « Signor, baïocco ! » Le paysan portant ses légumes au marché arrête son âne pour vous tendre la main. Une jolie fille, montrant sa tête virginale par une fenêtre encadrée dans la vigne, vous sourit gracieusement et demande un baïoc. Les enfants, presque au maillot, balbutient déjà la formule, aidés par leurs parents. Dans les rues de Naples, la nuit, les sentinelles murmurent timidement pour demander un piccolo regaglio. Les pauvres ne sont pas honteux. Vous ne trouveriez pas facilement, comme en France, de ces malheureux fiers et désespérés qui dévorent leur infortune en silence et qui font lever matin les cœurs charitables. Le Napolitain accepte l’indigence avec moins de peine, l’étale dans la rue aux yeux du public et tire le plus de parti possible de son malheur. Parmi les pauvres de profession, quelques-uns ont une supériorité de talent dont nos mendiants