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tois en l’exaction des leurs ; nous gardons notre rang pointilleusement, et voulons que les autres soient humbles et condescendants ; nous nous plaignons aisément du prochain : et ne voulons qu’aucun se plaigne de nous ; ce que nous faisons pour autrui nous semble toujours beaucoup : ce qu’il fait pour nous n’est rien, ce nous semble. Bref, nous sommes comme les perdrix de Paphlagonie, qui ont deux cœurs ; car nous avons un cœur doux, gracieux et courtois en notre endroit, et un cœur dur, sévère, rigoureux envers le prochain. Nous avons deux poids : l’un pour peser nos commodités avec le plus d’avantage que nous pouvons, l’autre pour peser celles du prochain avec le plus de désavantage qu’il se peut ; or, comme dit l’Écriture, « les lèvres trompeuses ont parlé en un cœur et un cœur », c’est-à-dire elles ont deux cœurs ; et d’avoir deux poids : l’un fort pour recevoir et l’autre faible pour délivrer, c’est chose abominable devant Dieu.

Philothée, soyez égale et juste en vos actions : mettez-vous toujours en la place du prochain, et le mettez en la vôtre, et ainsi vous jugerez bien ; rendez-vous vendeuse en achetant, et acheteuse en vendant, et vous vendrez et achèterez justement. Toutes ces injustices sont petites, parce qu’elles n’obligent pas à restitution, d’autant que nous demeurons seulement dans les termes de la rigueur, en ce qui nous est favorable ; mais elles ne laissent pas de nous obliger à nous en amender, car ce sont de grands défauts de raison et de charité ; et, au bout de là, ce ne sont que tricheries, car on ne perd rien à vivre généreusement, noblement, courtoisement, et avec un cœur royal, égal et raisonnable. Ressouve-