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désire d’acheter le bien de mon voisin, avant qu’il soit prêt à le vendre, ne perds-je pas mon temps en ce désir ? Si étant malade, je désire prêcher ou dire la sainte messe, visiter les autres malades, et faire les exercices de ceux qui sont en santé, ces désirs ne sont-ils pas vains, puisqu’on ce temps-là il n’est pas en mon pouvoir de les effectuer ? Et cependant ces désirs inutiles occupent la place des autres que je devrais avoir : d’être bien patient, bien résigné, bien mortifié, bien obéissant et bien doux en mes souffrances, qui est ce que Dieu veut que je pratique pour lors. Mais nous faisons ordinairement des désirs des femmes grosses, qui veulent des cerises fraîches en l’automne et des raisins frais au printemps.

Je n’approuve nullement qu’une personne attachée à quelque devoir ou vacation, s’amuse à désirer une autre sorte de vie, que celle qui est convenable à son devoir, ni des exercices incompatibles à sa condition présente ; car cela dissipe le cœur et l’alanguit ès exercices nécessaires. Si je désire la solitude des chartreux, je perds mon temps, et ce désir tient la place de celui que je dois avoir, de me bien employer à mon office présent. Non, je ne voudrais pas mêmement que l’on désirât d’avoir meilleur esprit ni meilleur jugement, car ces désirs sont frivoles et tiennent la place de celui que chacun doit avoir, de cultiver le sien, tel qu’il est ; ni que l’on désire les moyens de servir Dieu que l’on n’a pas, mais que l’on emploie fidèlement ceux qu’on a. Or, cela s’entend des désirs qui amusent le cœur ; car quant aux simples souhaits, ils ne font nulle nuisance, pourvu qu’ils ne soient pas fréquents.