Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Or, comme les âmes relevées au-dessus d’elles-mêmes par l’essai des plaisirs supérieurs, renoncent facilement aux objets visibles, ainsi quand par la disposition divine la joie spirituelle leur est ôtée, se trouvant aussi d’ailleurs privées des consolations corporelles, et n’étant point encore accoutumées d’attendre en patience les retours du vrai soleil, il leur semble qu’elles ne sont ni au ciel ni en la terre, et qu’elles demeureront ensevelies en une nuit perpétuelle ; si que, comme petits enfançons qu’on sèvre, ayant perdu leurs mamelles, elles languissent et gémissent, et deviennent ennuyeuses et importunes, principalement à elles-mêmes.

Ceci donc arriva, au voyage duquel il est question, à l’un de la troupe, nommé Geoffroy de Péronne, nouvellement dédié au service de Dieu. Celui-ci, rendu soudainement aride, destitué de consolation et occupé des ténèbres intérieures, commença à se ramentevoir de ses amis mondains, de ses parents, des facultés[1] qu’il venait de laisser, au moyen de quoi il fut assailli d’une si rude tentation que, ne pouvant la celer en son maintien, un de ses plus confidents s’en aperçut, et l’ayant dextrement accosté avec douces paroles, lui dit en secret : « Que veut dire ceci, Geoffroy ? comment est-ce que contre l’ordinaire, tu te rends si pensif et affligé ? » Alors Geoffroy, avec un profond soupir : « Ah ! mon frère, répondit-il, jamais de ma vie je ne serai joyeux ». Cet autre, ému de pitié par telles paroles, avec un zèle fraternel alla soudain réciter tout ceci au commun père

  1. Des biens.