Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/136

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Leurs cœurs accoustumez à ce muet langage,
Souffrent esgalement ce reciproque outrage :
Soupirent à la fois ; et ces cœurs esperdus,
Sentent et font sentir qu’ils sont bien entendus.
Comme on voit un torrent qu’une digue repousse,
Suspendre pour un temps son flot qui se courrousse ;
Et puis d’une fureur qui se gonfle et qui boult,
Abattre cét obstacle, et ravager par tout :
De mesme les transports de ces ames fidelles,
S’arrestent à l’abord, et ne sont veus que d’elles :
Mais enfin leur grandeur s’espanche en un moment,
Et l’amante en ces mots, entend pleindre l’amant.
Je viens, helas ! Je viens commencer mon suplice :
Ou plutost le finir si le ciel m’est propice :
Car si mes vœux ardents le trouvent sans courroux,
En vous disant adieu, je mourray devant vous.
Je viens me separer moy-mesme de moy-mesme,
Si l’on peut sans mourir quitter ce que l’on aime :
Car si pres du départ que m’ordonne le sort,
Je ne crois point encor le pouvoir sans la mort.
J’obeïs au destin ; mais avec l’esperance,
Que bien-tost mon trespas finira mon absence :
Ou qu’un triomphe prompt autant que glorieux,
Me fera revoler en ces aimables lieux.
C’est par ce seul espoir, divine Amalasonthe,
Que je puis m’esloigner de l’objet qui me dompte :
Et si je ne l’avois comme j’ay de l’ardeur,
Rome pour m’attirer manqueroit de grandeur.
Laissez-moy donc l’espoir