Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/193

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N’as-tu pas veu mon cœur plus ferme qu’un rocher ?
Et s’il fut autrement, viens le moy reprocher.
Tu sçais que mille amants m’ont offert leur franchise ;
Oüy, tu sçais si pour toy mon esprit les mesprise ;
Et si tous leurs soupirs, et si tout leur tourment,
Leur purent obtenir un regard seulement.
Tu sçais avec quel soin j’ay conservé ta flâme ;
Tu sçais quel est mon feu, toy qui vois dans mon ame ;
Et bien qu’encor cette ame adore la vertu,
Tu sçais que tu vainquis sans avoir combatu.
Qu’une inclination qui ne fut pas petite,
Fit d’abord sur mes sens, ce qu’eust fait ton merite :
Que j’aymé sans connoistre ; et que sans resister,
Je te donné ce cœur qu’un ingrat veut quitter.
Quel est donc le motif de ton humeur changeante ?
J’ay tousjours ma beauté ; je suis tousjours constante ;
J’ay le mesme dessein ; j’ay les mesmes apas ;
Je fais ce que je dois ; mais tu ne le fais pas.
D’où vient que ta raison rend foiblement les armes ?
Est-ce que ma rivale est plus feconde en charmes ?
Vois-là bien ; vois-moy bien ; juge equitablement ;
Prononce mon arrest ; mais souverainement.
Là cét amant honteux semble advoüer ses crimes :
L’on en voit sur son front les marques legitimes :
Il ne sçait que luy dire ; il demeure interdit ;
Mais voicy toutesfois ce que l’ingrat luy dit.
Il n’est rien d’eternel en la terre où nous sommes :
Tout change en l’univers, comme changent les hommes :