Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/192

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On vit passer son cœur en ce moment fatal,
Et pour un moindre objet, changer, mais changer mal.
Mille et mille sermens d’une flâme eternelle,
Ne purent retenir son ame criminelle :
Mille et mille bontez de celle qu’il quittoit,
Ne purent empescher sa mort qu’il meditoit.
Que ne dit-elle point, que ne deût-elle dire,
Lors que ce revolté renversa son empire !
Quels reproches sanglants ne luy fit-elle pas !
Mais il rit de ses pleurs comme de son trespas ;
Il mesprisa ses feux comme l’eau de ses larmes ;
Ses yeux n’eurent alors, ny puissance, ny charmes ;
Et malgré les efforts de sa tendre amitié,
Elle ne vit en luy, ny raison, ny pitié.
Ha, luy dit-elle enfin, cœur ingrat, cœur perfide,
Suivant ta passion, tu suis un mauvais guide !
Tu cours au precipice ; et ton aveuglement
S’en va causer ta perte, et mon dernier moment.
Mais puis qu’à me quitter ton ame est resoluë ;
Puis que ta perfidie, et ma mort est concluë ;
Puis que desja le ciel s’apreste à me vanger,
Dis-moy, du moins dis-moy, qui t’oblige à changer ?
Lors que tu m’adorois, estois-je plus parfaite ?
Lors que tu me trahis, me vois-tu plus mal-faite ?
Et si tu te resouds à ce crime odieux,
Ay-je le mesme taint, as-tu les mesmes yeux ?
T’ay-je donné l’exemple, ame ingrate et volage,
D’une legereté qui te nuit et m’outrage ?