Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/214

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Et viste comme un traict parmy l’air tenebreux,
Cache le bel éclat de son corps lumineux.
Alaric qui le perd, le suit de la pensée ;
Et lors qu’il voit au ciel l’ourse bien avancée,
Il ordonne à ces chefs de revoir leurs vaisseaux,
Et de s’y tenir prests à refendre les eaux,
Aussi-tost que le vent qui devance l’aurore,
Viendra les advertir que l’aube se colore.
Tout obeït au roy ; tout le quitte à l’instant ;
Tout vogue dans la nuit sur l’empire flottant ;
Et ce prince tout seul retrace en sa memoire,
Malgré sa passion l’image de sa gloire ;
Revoit Rome et le Tibre ; et d’un cœur glorieux,
Les voit chargez de fers, et luy victorieux.
Mais lors que le heros à cette belle idée,
L’ame du grand sorcier par la fureur guidée,
Poursuivant un dessein que rien ne peut changer,
Travaille à sa ruine, et cherche à se vanger.
Aussi-tost qu’il eut veu son fantôme inutile,
Plus viste que le vent il esloigna cette isle :
Et parmy des broüillards qu’il avoit amassez,
Il laissa les Danois aux rivages glacez.
Dans les plus creux rochers de l’affreuse Eolie,
Une sombre caverne est comme ensevelie,
Où les fiers aquilons, et les cruels autans,
Lors qu’ils ne regnent plus sur les flots inconstans,
S’enferment despitez, et suivant leur nature,
Font retentir ces monts d’un eternel murmure.