Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/323

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Tout se loge aussi-tost ; et les tentes superbes,
Forment comme une ville au milieu de ces herbes :
La juste simmetrie y regne en toutes parts :
Et des retranchemens luy servent de ramparts.
Un grand ruisseau la couvre ; et le camp se repose,
Sur les soins vigilents des gardes que l’on pose :
Le prudent Alaric qui veille pour son bien,
Ne donnant rien au sort, et ne negligeant rien.
Or comme ce heros qui veut dompter la terre,
Passe dans le quartier des prisonniers de guerre,
Il en voit un tout seul, de qui la majesté,
L’air noble, et le port haut, marquent la qualité.
Mais il paroist si triste, et si melancolique,
Que l’on voit aisément que la perte publique
N’est pas seule à causer l’excessive douleur,
Qui paroist dans ses yeux comme dans sa couleur.
Alaric qui le voit, et qui le considere,
Trouvant en ce guerrier tout ce qu’il faut pour plaire,
Le regarde ; s’aproche ; et voulant l’obliger
A ne luy celer pas ce qui peut l’affliger ;
Quoy Romain (luy dit-il, en paroles charmantes)
Les chaisnes parmy nous sont-elles si pesantes,
Qu’un homme genereux ne les puisse endurer,
Avec quelque constance, et sans en murmurer ?
Quoy les maistres du monde eslevez dans la gloire,
Ont-ils creu dans leur camp enchaisner la victoire ?
Et ne sçavent-ils point qu’on voit en combatant,
La fortune inconstante, et le sort inconstant ?