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JEANNE D’ARC

mon sein, et changent en mélancolie toutes les puissances de mon cœur.

Ah ! pourquoi donc ai-je vu ce noble visage ? Dès cet instant j’ai été coupable. Malheureuse ! Dieu veut un instrument aveugle, c’est avec des yeux aveugles que tu devois obéir. Tu l’as regardé, c’en est fait, la paix de Dieu s’est retirée de toi, et les pièges de l’enfer t’ont saisie. Ah ! simple houlette des bergers, pourquoi vous ai-je échangée contre une épée ? Pourquoi, reine du ciel, m’es-tu jamais apparue ? Pourquoi donc ai-je entendu ta voix dans la forêt des chênes ? reprends ta couronne, je ne puis la mériter. Oui, je vois le ciel ouvert, je vois les bienheureux, et mes espérances sont dirigées vers la terre ! Oh ! Vierge sainte, tu m’imposas cette vocation cruelle ; pouvois-je endurcir ce cœur que le ciel avoit créé pour aimer ? Si tu veux manifester ta puissance, prends pour organes ceux qui, dégagés du péché, habitent dans ta demeure éternelle ; envoie tes esprits immortels et purs, étrangers aux passions comme aux larmes. Mais ne choisis pas la foible fille, ne choisis point le cœur sans force d’une bergère. Que me faisoient les destins des combats et les