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LA FIANCÉE DE MESSINE

et la pitié se penche comme une sœur attendrie sur l’urne qu’elle embrasse. »

Sa mère le presse encore de ne pas l’abandonner. – « Non, lui dit-il, je ne puis vivre avec un cœur brisé. Il faut que je retrouve la joie, et que je m’unisse avec les esprits libres de l’air. L’envie a empoisonné ma jeunesse ; cependant tu partageois justement ton amour entre nous deux. Penses-tu que je pourrais supporter maintenant l’avantage que tes regrets donnent à mon frère sur moi ? La mort nous sanctifie ; dans son palais indestructible, ce qui étoit mortel et souillé se change en un cristal pur et brillant ; les erreurs de la misérable humanité disparoissent. Mon frère seroit au-dessus de moi dans ton cœur, comme les étoiles sont au-dessus de la terre, et l’ancienne rivalité qui nous a séparés pendant la vie renaîtroi pour me dévorer sans relâche. Il seroit par-delà ce monde, il seroit dans ton souvenir l’enfant chéri, l’enfant immortel. »

La jalousie qu’inspire un mort est un sentiment plein de délicatesse et de vérité. Qui pourroit en effet triompher des regrets ? Les vivants égaleront-ils jamais la beauté de l’image céleste que l’ami qui n’est plus a laissée dans notre cœur ? Ne nous