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DE LA LITTÉRARURE ET LES ARTS

qui sont les vrais musiciens de la nature, ne conforment les airs aux paroles que d’une manière générale. Dans les romances, dans les vaudevilles, comme il n’y a pas beaucoup de musique, on peut soumettre aux paroles le peu qu’il y en a ; mais dans les grands effets de la mélodie il faut aller droit à l’âme par une sensation immédiate.

Ceux qui n’aiment pas beaucoup la peinture en elle-même attachent une grande importance aux sujets des tableaux ; ils voudroient y retrouver les impressions que produisent les scènes dramatiques : il en est de même en musique ; quand on la sent foiblementon exige qu’elle se conforme avec fidélité aux moindres nuances des paroles ; mais quand elle émeut jusqu’au fond de l’âme, toute attention donnée à ce qui n’est pas elle ne seroit qu’une distraction importune, et pourvu qu’il n’y ait pas d’opposition entre le poëme et la musique, on s’abandonne à l’art qui doit toujours l’emporter sur tous les autres. Car la rêverie délicieuse dans laquelle il nous plonge anéantit les pensées que les mots peuvent exprimer, et la musique réveillant en nous le sentiment de l’infini, tout ce qui tend à particulariser l’objet de la mélodie doit en diminuer l’effet.