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DES BEAUX-ARTS EN ALLEMAGNE

Gluck, que les Allemands comptent avec raison parmi leurs hommes de génie, a su merveilleusement adapter le chant aux paroles, et dans plusieurs de ses opéras il a rivalisé avec le poëte par l’expression de sa musique. Lorsqu’Alceste a résolu de mourir pour Admète, et que ce sacrifice, secrètement offert aux dieux, a rendu son époux à la vie, le contraste des airs joyeux qui célèbrent la convalescence du roi, et des gémissements étouffés de la reine condamnée à le quitter, est d’un grand effet tragique. Oreste, dans Iphigénie en Tauride, dit : Le calme rentre dans mon âme, — et l’air qu’il chante exprime ce sentiment ; mais l’accompagnement de cet air est sombre et agité. Les musiciens, étonnés de ce contraste, vouloient adoucir l’accompagnement en l’exécutant, Gluck s’en irritoit et leur crioit : « N’écouter pas Oreste, il dit qu’il est calme, il ment. » Le Poussin, en peignant les danses des bergères, place dans le paysage le tombeau d’une jeune fille, sur lequel est écrit : Et moi aussi je vécus en Arcadie. Il y a de la pensée dans cette manière de concevoir les arts, comme dans les combinaisons ingénieuses de Gluck ; mais les arts sont au-dessus de la pensée : leur langage ce sont les couleurs ou les formes,