Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/347

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passai dans l’île. Vendredi commençait à parler assez bien et à entendre le nom de presque toutes les choses que j’avais occasion de nommer et de touts les lieux où j’avais à l’envoyer. Il jasait beaucoup, de sorte qu’en peu de temps je recouvrai l’usage de ma langue, qui auparavant m’était fort peu utile, du moins quant à la parole. Outre le plaisir que je puisais dans sa conversation, j’avais à me louer de lui-même tout particulièrement ; sa simple et naïve candeur m’apparaissait de plus en plus chaque jour. Je commençais réellement à aimer cette créature, qui, de son côté, je crois, m’aimait plus que tout ce qu’il lui avait été possible d’aimer jusque là.

Un jour j’eus envie de savoir s’il n’avait pas quelque penchant à retourner dans sa patrie ; et, comme je lui avais si bien appris l’anglais qu’il pouvait répondre à la plupart de mes questions, je lui demandai si la nation à laquelle il appartenait ne vainquait jamais dans les batailles. À cela il se mit à sourire et me dit : — « Oui, oui, nous toujours se battre le meilleur ; » — il voulait dire : nous avons toujours l’avantage dans le combat. Et ainsi nous commençâmes l’entretien suivant : — Vous toujours se battre le meilleur ; d’où vient alors, Vendredi, que tu as été fait prisonnier ?

Vendredi. — Ma nation battre beaucoup pour tout cela.

Le maître. — Comment battre ! si ta nation les a battus, comment se fait-il que tu aies été pris ?

Vendredi. — Eux plus que ma nation dans la place où moi étais ; eux prendre un, deux, trois et moi. Ma nation battre eux tout-à-fait dans la place là-bas où moi n’être pas ; là ma nation prendre un, deux, grand mille.

Le maître. — Mais pourquoi alors ne te reprit-elle pas des mains de l’ennemi ?