Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/234

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dessein d’user de clémence, car il ne veut pas la mort du pécheur, mais bien qu’il revienne à soi et qu’il vive ; que souvent il souffre que les méchants parcourent une longue carrière ; que souvent même il ajourne leur damnation au jour de l’universelle rétribution ; et que c’est là une preuve évidente d’un Dieu et d’une vie future, que les justes ne reçoivent pas leur récompense ni les méchants leur châtiment en ce monde. Ceci le conduira naturellement à enseigner à sa femme les dogmes de la Résurrection et du Jugement dernier. En vérité je vous le dis, que seulement il se repente, et il sera pour sa femme un excellent instrument de repentance. »

Je répétai tout ceci à Atkins, qui l’écouta d’un air fort grave, et qui, il était facile de le voir, en fut extraordinairement affecté. Tout-à-coup, s’impatientant et me laissant à peine achever : — « Je sais tout cela, master, me dit-il, et bien d’autres choses encore ; mais je n’aurai pas l’impudence de parler ainsi à ma femme, quand Dieu et ma propre conscience savent, quand ma femme elle-même serait contre moi un irrécusable témoin, que j’ai vécu comme si je n’eusse jamais ouï parler de Dieu ou d’une vie future ou de rien de semblable ; et pour ce qui est de mon repentir, hélas !… — là-dessus il poussa un profond soupir et je vis ses yeux se mouiller de larmes, — tout est perdu pour moi ! » — « Perdu ! Atkins ; mais qu’entends-tu par là ? » — « Je ne sais que trop ce que j’entends, sir, répondit-il ; j’entends qu’il est trop tard, et que ce n’est que trop vrai. »

Je traduisis mot pour mot à mon ecclésiastique ce que William venait de me dire. Le pauvre prêtre zélé, — ainsi dois-je l’appeler, car, quelle que fût sa croyance, il avait assurément une rare sollicitude du salut de l’âme de son prochain, et il serait cruel de penser qu’il n’eût pas une