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ne sommes pas ici pour nous payer de vaines paroles, et je ne saurais faire parade devant toi d’un luxe de sensibilité que je ne puis avoir. Tu m’entends ? Si mon père était inquiet de moi, je m’inquiéterais beaucoup de lui.

— Je t’entends, Justine.

— C’est toi, mon ami, c’est toi qui m’occupes ; et je voudrais, si je dois quitter la vie, que tu fusses aussi bien préparé à cette séparation que je le suis moi-même.

— Mais, Justine, penses-tu bien à ce que tu oses me dire ?

— Oui, j’y pense, mon ami, dit-elle en baisant doucement le front d’Ernest. Oh ! si tu savais à quel point je te chéris ! Depuis longtemps je t’aime, et dans toutes les dispositions si variées où se sont trouvés successivement mon âme et mon cœur, j’ai toujours senti que tu les occupais exclusivement. Mais c’est depuis que mon corps est dompté par le mal, c’est seulement depuis que ce mal m’a dispensé de faire des efforts de vertu, que mon âme a la conscience pure et entière de cet amour sincère et désintéressé, qui transporte ma vie dans la tienne. Je ne sais si toutes les femmes me ressemblent, mais j’ai cru sentir que dans toutes les actions de ma vie il y a toujours eu quelque chose qui ressortissait de la maternité.

Ernest baissa la tête à ce mot, et se couvrit les yeux de ses mains.

— Ah ! pardon, cher ami, lui dit Justine en devinant la cause de ses regrets ; mais oublions ce qui est passé. Qu’y faire, Ernest ! Dieu ne l’a pas voulu ; ah ! j’en ai bien pleuré !

Ils gardèrent le silence pendant plusieurs instants ; mais mademoiselle de Liron reprit enfin la parole.

— Sais-tu, Ernest, que pendant ton absence, et dans l’espérance d’adoucir les regrets que j’éprouvais de ne plus te voir, j’ai fait bien des efforts pour devenir dévote à Dieu ? Mais, il faut que je te l’avoue, ajouta-t-elle avec un de ces sourires angéliques, comme on en surprend sur la figure des malades résignés, je n’ai pas pu. J’en ai honte ; mais je te le dis. Encore à présent, je sens bien qu’entre l’amour et la