Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/104

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dévotion il n’y a qu’un cheveu d’intervalle, et cependant je ne puis le franchir. Hélas... faut-il que je te dise tout ? dois-je t’avouer que, pendant mes prières, j’étais comme forcée d’interposer le souvenir de ta personne entre moi et le ciel, pour que ma pensée pût parvenir jusqu’à Dieu ? Ce livre que tu vois, et elle montrait l’Imitation de Jésus-Christ, j’en ai fait mes délices, je l’ai lu et relu nuit et jour. Dieu me le pardonnera, je l’espère, puisque je m’en accuse sans détour ; mais à chaque ligne je substituais ton nom au sien ! Oui, ma vocation, l’objet de ma vie, était sans doute de t’aimer, et ce qui me le fait croire, c’est que rien de ce que j’ai fait pour t’en donner des preuves n’excite en mon âme le moindre remords. Je vois dans tes yeux que ce que tu m’entends dire t’étonne ; mais sois certain que l’amour que je te montre en ce moment, que je t’exprime de ce lit où tu m’assistes malade, n’est pas moins fort, n’est pas moins tendre et ne te sera pas moins utile que celui que je t’ai prodigué l’année dernière.

Bien que mademoiselle de Liron eût modéré sa voix, elle fut obligée de cesser de parler pendant quelques instants. Ernest profita de ce repos pour lui faire prendre une boisson calmante, dont l’usage lui avait été prescrit par les médecins. Outre cela, sa cousine le pria de replacer les oreillers de manière à ce qu’elle fût plus à l’aise sur son séant, situation qu’elle était forcé de conserver depuis plusieurs jours pour diminuer la fréquence et l’effet des étouffements qu’elle éprouvait.

Lorsque toutes ces dispositions furent prises :

— Mets ton épaule près de l’oreiller, dit Justine à Ernest, afin que je m’accote à toi pour te parler plus à l’aise et de plus près. Si je meurs avant toi, dit-elle, tu garderas ce lit, n’est-ce pas ?

À de semblables questions on ne peut répondre que par des caresses et des larmes ; et c’est ce que fit Ernest.

— Comme la vie d’amour s’accomplit rapidement ! continua mademoiselle de Liron, en promenant son regard sur toutes les faces de l’alcôve et sur son lit ! un an ; c’est court !... Allons, Ernest, du courage, ne pleure pas ainsi. Que veux-