Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/105

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tu ? nous n’y pouvons rien, si ce n’est profiter des avantages que cette occasion présente encore. L’année dernière après ton départ, tu t’es montré digne d’être aimé ; tu t’es conduit avec courage. S’il en eût été autrement, j’étais une femme déshonorée à mes propres yeux, et loin de là je suis fière de ce que j’ai fait. Entends-tu, mon Ernest ? fière !... Tu partais l’an passé ; cette année, c’est moi qui serai forcée peut-être d’entreprendre un grand voyage ; mais avant je veux, cette année comme la précédente, faire mes conditions avant de nous séparer.

— Ô Justine ! s’écria Ernest, quelles funestes idées as-tu donc ?

— Il faut tout prévoir, mon ami, et ne pas se laisser surprendre. Écoute-moi bien attentivement : au point de douce familiarité où nous sommes parvenus aujourd’hui, il n’est plus rien que je ne puisse te dire ; je te rappellerai donc cette nuit délicieuse qui précéda le jour de ton départ : tu le sais, le souvenir que j’en conserve est aussi doux que le tien ? Eh bien, mon ami, cette soirée que nous passons ensemble, aujourd’hui, cette entière confiance de nos âmes, ces liens du cœur qui font que nous n’avons qu’un seul et même intérêt, cet inexprimable bonheur que nous éprouvons à nous avouer jusqu’à nos fautes, à confondre et à mêler nos pensées les plus secrètes, cet amour enfin que nous ressentons tous deux en ce moment, grave, sérieux, triste même, je l’avoue ; il laissera dans ton âme un souvenir beaucoup plus durable, et qui avec le temps deviendra bien plus délicieux encore que celui de nos brûlantes ardeurs. Ô Ernest ! ce nouvel amour, c’est encore moi qui te le fais connaître ! Aie donc confiance en moi, je ne te tromperai pas plus cette fois que l’autre, et ne crains pas de me faire des promesses, si je t’en demande.

Mademoiselle de Liron cessa de parler à ce moment, elle laissa aller sa tête sur l’épaule de son ami.

— Je m’arrête un instant... dit-elle en parlant avec peine, la respiration me manque...

— Garde le silence, ô ma Justine ! lui répondit Ernest en la soutenant dans ses bras ; ne parle pas, cela te ferait mal.