Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/124

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pontife, vous savez que je m’abstiens toujours de rappeler les événements tristes quand ils sont accomplis et sans remède. Toutefois il serait fâcheux que leur expérience demeurât inutile pour l’avenir. Comme vous j’ai ressenti vivement le tort et l’injure que Mazarin faisait à notre famille en s’emparant d’une place, d’un bien qui appartient à votre neveu, à mon gendre, le prince de Piombino[1] ; comme vous j’ai gémi de voir les Espagnols, nos alliés les plus fidèles, chassés de deux forteresses protectrices de Rome, par les Français, auxquels nous ne devons jamais nous fier. Mais, mon frère, l’homme que le ciel a choisi pour gouverner les nations de la terre doit mettre tous les intérêts secondaires de côté, et surtout ne pas se faire d’illusion sur l’état présent des circonstances, afin d’en tirer tout le parti possible. Vous n’ignorez pas le motif secret qui rend Mazarin si acharné à nous nuire.

— Ce drôle-là, il faudrait encore créer son frère cardinal ; c’est déjà bien assez qu’il soit archevêque.

— Je n’aime pas à vous voir dans cette disposition d’esprit, dit dona Olimpia, qui après s’être levée se promena lentement dans la chambre en continuant de parler : c’est en se laissant aller ainsi à sa mauvaise humeur que l’on risque de commettre des fautes irréparables.

— Allons, c’est bien ! prenez Mazarin sous votre protection ; il ne vous manquera plus que de plaider en faveur de la famille Barberine et de sacrifier l’Espagne à la France. C’est un beau marché que nous ferions là. »

Innocent en s’agitant sur son siége répéta plusieurs fois cette même observation en la retournant sous plusieurs formes différentes, sans que dona Olimpia répondît un seul mot. Elle était dans un des angles de la chambre, immobile et la tête inclinée comme quelqu’un absorbé dans des réflexions qui l’isolent complètement. Cette immobilité et le silence durèrent assez longtemps pour que le pape, à qui la position de son fauteuil ne permettait pas d’apercevoir dona Olimpia, se retournât plusieurs fois avec une curiosité inquiète, pour démêler dans l’attitude de sa belle-sœur la disposition d’esprit où elle pouvait être.

  1. Nicolo Ludovisio.