Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/179

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même la jeune princesse. Les deux heures qu’il passa avec elle suffirent pour opérer une révolution complète dans son cœur et dans son esprit ; et au résultat, car il n’y a pas moyen de faire des romans bien longs avec le caractère et les amours des Italiens, la princesse de Rossano ne déguisa pas la bonne disposition où elle était à l’égard de Camille, et le cardinal devint éperdument amoureux de la jeune veuve. Ce fut un autre homme ; il perdit son embonpoint et son teint fleuri ; il ne mangea plus, perdit le sommeil, oublia totalement les bâtisses et les plantations de son palais, pour ne penser qu’à la belle princesse de Rossano, qu’il rechercha et poursuivit partout, au point que, pendant plusieurs mois, il donna sans s’en douter, à la ville de Rome, les récréations les plus amusantes par l’inattendu et l’excès de sa passion.

Cependant le pape, dona Olimpia et la princesse de Rossano n’envisagèrent pas la chose du côté plaisant. Les deux premiers étaient outrés des folies du cardinal, qui pleurait et se roulait chez lui comme un furieux, en criant à tue-tête que rien ne l’empêcherait d’épouser la jeune veuve, et qu’il voulait rendre son chapeau au pape. Quant à la princesse, touchée au fond du cœur des témoignages fort sincères, bien qu’un peu bizarres, de l’amour du cardinal, elle profita habilement de son expérience et de sa présence d’esprit pour faire tourner cette passion à son profit. Elle s’empressa d’écrire à ce sujet aux princes de Parme, ses parents, pour les consulter ; et comme elle était restée veuve avec deux enfants, après avoir éprouvé momentanément quelques pertes dans sa fortune, elle se décida, malgré tous les obstacles qu’elle prévoyait, à ne rien négliger pour faire réussir un mariage qui s’accordait tout à la fois avec les intérêts de son cœur et de son ambition.

Les coquetteries d’une femme qui aime ont d’autant plus de force qu’elles sont faites en toute sûreté de conscience ; aussi la belle princesse ne se fit-elle aucun scrupule d’attiser la passion que le cardinal ressentait pour elle. Elle chercha et fit naître les occasions de le voir, et lui parla ouvertement des soins qu’il fallait prendre, du courage et de la vigueur qu’il serait à propos de déployer pour se soustraire au joug