Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/18

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signalées, et, sa longueur excessive, qui a l’inconvénient de faire employer beaucoup trop de temps à une lecture récréative, on pourrait encore reprocher à l’auteur de ne résoudre précisément aucun point de morale, comme on va s’en assurer par la lecture du titre complet que Richardson a mis en tête de sa composition ; il est ainsi conçu : « Clarice, ou Histoire d’une jeune demoiselle ; dans laquelle sont rapportés tous les chagrins de la vie privée ; et où l’on montre particulièrement les malheurs qui résultent des torts réciproques qu’ont les parents et leurs enfants, dans les affaires où il s’agit de mariage. » Cette seule exposition suffit pour faire juger qu’ainsi que dans la comédie du Misanthrope de Molière, il est impossible de donner tort ou raison absolument aux personnages du roman de Clarice, circonstance qui, pour le dire en passant, semble être un des caractères qui distinguent les chefs-d’œuvre.

Cependant l’ensemble du livre du grand romancier anglais, comme le drame de notre grand comique, contient un parfum si vif et si pénétrant d’amour du beau, du bon et de l’honnête, qu’après en avoir achevé la lecture on en est tout imprégné, et que si l’on n’est pas déjà meilleur on a envie de le devenir.

Malgré l’emploi indispensable de détails parfois repoussants, dans les ouvrages de théâtre et dans les romans, on voit donc que ce genre de productions n’est pas nécessairement immoral. Ce qui imprime un caractère bon ou mauvais à un ouvrage ne vient jamais du sujet, mais de l’esprit que l’auteur apporte en le traitant ; et malgré ce qu’il y a de révoltant, de trop voluptueux et de hasardé dans les aventures d’Œdipe et des Atrides, dans l’histoire de Psyché, dans les malheurs de Didon, dans la pastorale de Longus et dans certains contes ou drames des temps modernes, personne, des gens qui jugent avec calme au moins, n’a eu l’idée de mettre Eschyle, Sophocle, Virgile, Longus et Amyot, ni même Boccace et Molière, au nombre des écrivains immoraux.

Je n’oublierai jamais l’effet que deux lectures bien différentes, faites à peu d’intervalle l’une de l’autre, produisirent sur mon esprit. J’étais très-jeune lorsque l’on me fit présent d’un Télémaque auquel je ne compris naturellement rien. J’eus cependant le désir d’y revenir plusieurs fois ; mais à mesure que mon intelligence se développait, le livre m’en-