Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous me comprenez mal, Camille, et que vous interprétez faussement la tendresse que je vous porte, ainsi que l’intérêt que je prends à votre famille ! Car enfin, mon ami, je suis sur le point de vous donner un fils, je l’espère au moins ; et il faut penser de bonne heure à l’avenir. Si doux que nous ait paru notre bannissement, seriez-vous bien satisfait que votre premier né vît le jour en exil ? — Eh bien ! je vais demander notre rappel au pape. — Vous ne l’obtiendrez pas, Camille. — Pourquoi non ? — Votre mère s’y opposera ; vous le savez bien. » Ces dernières paroles firent baisser la tête à dom Camille.

Après quelques instants de silence, la princesse reprit la parole : « Ah ! Camille, dit-elle, que je voudrais trouver des mots pour vous exprimer ce que j’éprouve ! Dites, mon ami, ne sentez-vous pas que quelque chose vous manque ? — Près de toi ? Rien, absolument rien. » Le jeune prince prononça ces mots d’un air si vrai, et avec une tendresse si franche, que la princesse en fut vivement émue. « Mais enfin, ajouta-t-elle, cher Camille, ce sentiment si doux, ce bonheur de vivre l’un pour l’autre, que j’éprouve ainsi que vous avec tant de vivacité, vous n’ignorez pas qu’il ne peut remplir la vie tout entière. Le nom que vous portez et que vous transmettrez à nos enfants, il faut en accroître le lustre, le rendre glorieux s’il est possible. Vous êtes fier de ma beauté, dites-vous quelquefois ; trouveriez-vous étrange que je misse mon orgueil à vous voir paraître avec éclat dans le monde ? Ah ! croyez-moi, Camille, ne laissez pas s’écouler vainement les jours de votre jeunesse ; mettez-les à profit pour vous préparer un âge mûr digne du nom que vous portez, et ne laissons pas dégénérer le bonheur que nous avons goûté jusqu’ici, en indolence. Montrons l’un et l’autre, mon ami, que la retraite, l’oisiveté à laquelle on nous a condamnés, est une odieuse injustice. »

Ce discours, et l’énergie avec laquelle la princesse de Rossano en prononça les dernières phrases, jetèrent dom Camille dans le plus étrange étonnement. Ce mélange de tendresse profonde et de conseils sérieux mit une confusion singulière dans les idées du prince et en regardant les yeux