Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/20

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j’ai lus dans ma jeunesse, est-ce celui dont le souvenir s’est représenté avec le plus de vivacité à mon esprit dans le danger, et qui m’a garanti de fatales imprudences.

Quoi qu’il en soit, il y a une telle variété dans les caractères et l’esprit des hommes, que je n’oserais recommander l’emploi d’un moyen qui, s’il fut un préservatif pour moi, pourrait devenir une occasion de chute pour d’autres. Mais outre qu’à ce sujet je voulais rendre hommage à la vérité en ce qui me concerne, je saisis encore cette occasion de donner une nouvelle preuve de la salutaire influence d’un ouvrage composé dans une intention pure, fût-il même, comme celui de l’abbé Prévost, entaché de détails sans lesquels le récit manquerait de vérité et de force, et ne porterait pas un coup si fort à l’âme du lecteur.

Quand on dresse de jeunes chevaux pour les batailles, on a soin de les conduire aux revues et aux petites guerres pour leur ôter l’étonnement et la crainte que leur cause le mouvement des troupes, l’éclat des couleurs et le bruit des tambours et de l’artillerie. Les romans et le théâtre peuvent être considérés, aux époques de civilisation telle que la nôtre, comme des épreuves analogues, au moyen desquelles on avertit, on prépare l’intelligence et l’âme de ceux qui se disposent à entrer dans le monde, afin que l’inexpérience ne compromette pas leur courage dès les premiers combats qu’ils auront à soutenir.

Mais puisqu’il est si important de savoir l’avantage que l’on peut tirer des livres qui n’ont point été écrits dans l’intention exclusive de transmettre une instruction morale, je crois que c’est ici l’occasion de s’entendre sur une question que tout le monde fait, mais à laquelle personne n’a jamais eu le courage de répondre. Quels sont les meilleurs ouvrages de poésie, d’histoire, de voyages ou tragédies, comédies, satires, contes et romans dans lesquels il ne se rencontre pas des faits et des paroles qui blessent la morale et l’honnêteté ? Il n’en existe pas. Est-ce à dire pour cela qu’il faille s’abstenir d’en faire la lecture ? Ou se croira-t-on obligé de mutiler des chefs d’œuvre littéraires à cause de quelques hardiesses, comme on a tant détruit de statues antiques par horreur pour les nudités ? Le cas est grave, et cette sainte fureur pourrait mener bien loin, car, je le répète, il n’y a pas un livre au monde, sans excepter ceux réputés sacrés chez tous les peu-