Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de faire venir quelques expéditionnaires qui affirmèrent ce fait, il produisit deux copistes habiles, experts en écriture, qui tinrent le même langage. Avec une audace qui ne peut s’expliquer que par l’aveuglement du pape à son égard, Mascambruno fit ressortir avec orgueil sa prétendue innocence devant Cecchini, Pancirole et le cardinal Pamphile, qui, tous trois convaincus de la mauvaise foi du sous-dataire, mais retenus par la crainte de déplaire au pontife, gardèrent un silence d’autant plus coupable que Mascambruno s’en autorisa pour animer le pape contre tous les pauvres officiers de la daterie, déjà emprisonnés, et qu’il avait hâte de faire perdre promptement par un jugement capital. En effet, la conférence n’était pas terminée que l’on vit arriver le juge Rugolo, qui avait déjà instruit le procès. Il donna un nouvel éclat à l’innocence de Mascambruno en énumérant avec une férocité minutieuse, devant le pape, tous les griefs qu’il avait déjà trouvés au prisonnier.

On a toujours peine à comprendre la faveur dont jouissent certaines gens quand on n’en connaît pas l’origine ; aussi, pour s’expliquer celle de Mascambruno auprès d’Innocent X, est-il nécessaire d’apprendre comment le sous-dataire avait commencé à se mettre dans les bonnes grâces du pontife. Son véritable nom était Francesco de Canonicis ; natif de la Marche d’Ancône, la légitimité de sa naissance était plus qu’incertaine, et après avoir fait d’assez bonnes études dans les humanités et dans les lois, il était entré chez un avocat célèbre nommé Mascambruno, qu’il aida merveilleusement par la tenue des écritures, en les faisant si lâches sur chaque page, que le profit qu’on en retirait était plus que triplé. Les grosses de Mascambruno étaient passées en proverbe à Rome.

L’avocat Mascambruno ayant reconnu le mérite de de Canonicis, se l’attacha, le mit à la tête de ses affaires, et soit par pure reconnaissance, ou par un instinct vague de paternité, il lui légua en mourant son nom, ses armes, sa bibliothèque, ses écritures et sa clientèle.

Le nouveau Mascambruno était donc avocat réputé habile, lorsque Innocent X, qui alors n’était que le cardinal Pam-