Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/294

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il n’en fut plus question. Mais l’honnête Vaultrin ne se tint pas pour battu. Son âme s’indigna à l’idée que ses confrères, les officiers de la daterie, victimes des affreuses calomnies de Mascambruno, allaient racheter, peut-être de leur sang innocent, la tête coupable de ce faussaire. Enhardi par l’amour de la vérité, et sans ignorer à quel danger il s’exposait, il se confia au cardinal neveu et à Pancirole, et leur démontra clairement toutes les fraudes que Mascambruno avait fait commettre depuis qu’il était sous-dataire. Il faut bien l’avouer : malgré l’évidence du crime, l’énergique probité du Lorrain Vaultrin suffit à peine pour faire entrer les deux ministres d’Innocent dans ses intentions et ses projets. « Je prends tout sur moi, éminences, leur répétait-il ; je sais quelle est la prévention de sa sainteté pour monseigneur Mascambruno ; mais je me fais fort de détromper notre saint-père ; et outre les pièces que je vous ai montrées, j’en conserve d’autres qui amèneront le triomphe complet de la vérité. Non, non, éminences, ajouta-t-il les larmes aux yeux, vous ne permettrez pas que l’innocence soit sacrifiée à un tel coupable ! Vous ne l’ignorez pas ; tous les officiers de la daterie sont les victimes du plus infernal mensonge. Monseigneur Mascambruno prétend que la signature du pape et la sienne ont été contrefaites ; c’est faux. Il tient ce langage pour rejeter le crime sur ses inférieurs. Je vous le dis, et je le soutiendrai jusqu’à mon dernier soupir, ce sont les signatures véritables d’Innocent et de Mascambruno qui se lisent sur la bulle et les suppliques fausses ; mais c’est le corps de la pièce qui a été falsifié, substitué ou surpris. C’est ce que je puis et veux démontrer au saint-père, pour lui épargner l’horreur de faire couler le sang innocent. »

Rien n’est si embarrassant pour des gens de cour habitués à éviter les frottements et les angles que de se trouver en contact avec ceux qui n’ont pour tout mérite et pour toute puissance qu’une inexorable probité. Les deux cardinaux se trouvèrent pris comme dans un piège, entre l’autorité du sous-dataire Mascambruno, qui pouvait, s’il se relevait du coup, les abattre tous deux, et l’inflexible sincérité du Lorrain, qui ne manquerait pas de les traîner dans la boue s’il