Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/316

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j’ai, comme vous le savez, consacré ma vie entière à Innocent ; dans l’intention de lui être utile, de concourir à sa prospérité et à sa gloire, j’ai bravé longtemps le mépris, l’insulte des calomniateurs ; mais leur malignité a trompé tous mes efforts sans cependant lasser mon courage, et j’ai recours à vous pour achever ce que j’ai entrepris. — De quoi s’agit-il précisément, madame, et que puis-je pour vous ? » Dona Olimpia, la tête appuyée sur sa main, resta pensive quelques minutes. « Vous savez, dit-elle enfin, dans quel étal est la santé du pape ? D’un jour à l’autre il faut s’attendre à le voir succomber à ses infirmités ; et politiquement... vous entendez ? politiquement, c’est un homme mort. C’est au moins le point de vue d’où vous ainsi que moi devons envisager l’état présent des choses, si nous voulons, vous et moi, préparer un avenir sûr à nos familles. Un tiers de vos biens, éminence, est encore sous le séquestre, et si Innocent venait à mourir, il est probable qu’on aurait de la peine à les en dégager, parce que les clameurs contre le népotisme ne manqueront pas d’éclater de nouveau à l’entrée du règne qui va s’ouvrir. Sur ce point, il ne serait pas plus raisonnable à vous de se faire des illusions qu’à moi-même ; car il est certain que le successeur d’Innocent, quel qu’il soit, se trouvera forcé par l’opinion publique de demander des comptes et peut-être d’enlever les biens à la maison des Pamphiles, ainsi qu’à celle des Barberins. Nos dangers sont les mêmes, nos intérêts sont communs, vous le voyez ; pourquoi ne nous unirions-nous pas pour prévenir les uns et défendre les autres ? — Si je vous comprends bien, madame, nous serions menacés d’une confiscation très-prochaine ? — La vie du pape peut durer encore assez longtemps ; mais enfin sa maladie présente des chances de mort subite, instantanée, et c’est là le seul cas qui doive fixer notre attention. Parlons sans détour, Antoine ; une partie du sacré collège se rattache à vous par d’anciennes amitiés, par des intérêts puissants, par de vives espérances ; de mon côté, je compte parmi les cardinaux des hommes qui me doivent tout, et qui me resteront attachés parce que leur âge peu avancé, ainsi que leur caractère, ne leur permettent pas