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lui parler à part, celui-là a des chances et il faut y faire grande attention. »

Pendant leur entretien particulier, les quatre autres cardinaux continuèrent la conversation. Jean-Charles de Médicis, après avoir fait un grand éloge de Chigi, ne tarda pas à retourner la médaille et à laisser percer toutes les craintes que lui inspirait l’élévation au trône pontifical d’un homme qui n’avait, disait-il, qu’un défaut, celui d’être d’une sévérité et d’une minutie insupportables, et enfin d’une cagoterie qui ferait de la ville de Rome un sépulcre. Trivulci abondait dans ce sens, ajoutant que Chigi était ladre et s’était vanté, comme d’un grand mérite, d’avoir écrit avec la même plume pendant deux ans, lorsqu’il achevait ses études ecclésiastiques.

« Entre nous, reprenait Jean-Charles, si notre frère Sachetti n’était pas aveuglément dévoué à la France et lié d’une amitié d’enfance avec le cardinal Mazarin, je le préférerais de beaucoup à Fabio Chigi. — Mais sans aucun doute, reprit le cardinal Trivulci, Sachetti est aimable, doux, indulgent ; ce serait un règne du siècle d’or que le sien. — Ah ! ah ! messieurs, prenez-y garde, interrompit Sforza, n’allons pas retomber encore dans un précipice semblable à celui dont nous voilà sortis. —Qu’aurions-nous donc à craindre, demandèrent Jean-Charles et Trivulci, avec ce brave Sachetti ? — Une autre dona Olimpia. — Comment ? — Oui, messieurs ; il a aussi une parente, une belle-sœur, que sais-je ? à laquelle il prend un grand intérêt. Eh bien, je vous le dis franchement, il faut nous défier des sangsues de cette espèce. Sachetti est bon, Sachetti est juste et pieux, Sachetti est aimable ; mais Sachetti est faible. »

Le ton de brusquerie naturelle à Sforza tranchait avec la politesse raffinée de Jean-Charles, qui s’éloigna, ainsi que Trivulci, pour aller rejoindre plusieurs personnes qui venaient d’être introduites. Restés seuls, Sforza et de Retz continuèrent à s’entretenir ensemble. Ils s’accordaient à dire que s’il se trouvait cinq ou six cardinaux ainsi disposés, parmi ceux qui composaient la faction espagnole, on risquait fort de manquer l’élection qu’on se proposait de faire. « Ah ! ah !... dit enfin Sforza,