Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/457

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devint chaque jour plus lent, plus timide, et finit par se faire un mérite de son apathie, en se disant qu’il se résignait à son sort. Il aimait l’étude, se livrait avec passion à celle des antiquités, et les charmes qu’il goûtait à ces occupations solitaires ne tardèrent pas à le dégoûter complétement de la vie active qu’il lui eût fallu mener pour parvenir aux honneurs et à la fortune. Cependant Innocent X se souvint de lui, et voulant l’attacher à sa personne, il lui donna la charge de majordome dans son palais. Mais en lui accordant cette faveur le souverain ne prétendait pas se donner un mentor, et malheureusement Segni ne sentit pas qu’il acceptait un emploi qu’on ne pouvait remplir à la satisfaction du maître qu’en devenant sourd et muet comme les murailles. Ce n’est pas que le majordome se permît jamais d’exprimer aucune plainte ; car son tort, au contraire, fut de ne rien dire, mais il laissait deviner par son expression et ses réticences les observations critiques qui lui venaient à l’esprit. Lorsque après la triste affaire des médailles présentées par Astalli, dona Olimpia s’étant exilée momentanément de la cour, eut enfin repris ses habitudes dans le palais pontifical, l’un de ses premiers soins fut de persuader à son beau-frère que Segni était un témoin dangereux qu’il fallait éloigner. Innocent céda d’autant plus volontiers que dona Olimpia ne manqua pas de donner au renvoi du serviteur toutes les apparences d’une faveur nouvelle ; et sous prétexte de lui procurer un loisir qu’il pourrait consacrer à ses études chéries, elle lui fit avoir un canonicat à Saint-Pierre. Les inclinations littéraires de Segni lui firent considérer ce changement d’une manière favorable ; et en effet, monseigneur Segni travaillait depuis longtemps à un ouvrage sur les Thermes romains, lorsque, attaqué de la peste, la mort, le surprit avant qu’il ait pu mettre ses savantes recherches en ordre.

Segni était un homme de bien. Il était du grand nombre des gens qui, dans un temps prospère, et sous le règne d’un souverain juste, mais ferme, concourent, par l’exercice des emplois inférieurs, à consolider et à maintenir l’ordre dans un état. Mais quand la corruption morale et politique est