Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/468

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— Pauvre jeune homme, dit le Poussin en prenant les mains de M. de Beauvoir. — Ce n’est pas tout, ajouta celui-ci ; le lendemain, comme je me promenais sur les hauteurs du Pincio, je fus accosté par cinq ou six de ces messieurs de l’ambassade. L’un d’eux, plus étourdi que les autres, car il n’est pas méchant, se mit à me complimenter sur le succès que j’avais eu auprès de dona Olimpia. On parla du collier, des soins qu’il avait fallu pour l’apporter à Rome, de l’adresse avec laquelle ce bijou avait été donné à celle à qui il était destiné, de sa valeur, des profits qu’avaient dû faire ceux entre les mains de qui il était passé ; bref, je me trouvai confondu avec Mascambruno et un certain juif, qui tous deux, à ce qu’il paraît, se sont entendus pour soustraire les deux plus grosses perles de ce collier. Je ne fus plus maître de moi ; ma colère de la veille s’augmenta de celle que l’on venait d’exciter de nouveau, et ayant tiré mon épée en criant à ces messieurs de se mettre en garde, j’en blessai deux légèrement ; les autres parvinrent à me calmer en m’assurant que l’on n’avait eu aucunement l’intention de m’offenser. Mais ce qui a achevé de me navrer le cœur, c’est que je me suis aperçu que ces messieurs, loin d’avoir voulu se moquer de moi, admiraient au contraire la conduite qu’ils me prêtaient, la discrétion que je mettais à ne me vanter de rien, et la bravoure avec laquelle je soutenais toute cette gageure. Non, monsieur Poussin, ajouta le jeune de Beauvoir, je ne puis vivre dans un monde fait de la sorte, et il n’y a pas de condition que je ne préférasse à celle d’y demeurer. — Je ne puis vous désapprouver, répondit l’artiste après quelques instants de silence, et si j’eusse été plus tôt à même de vous connaître comme aujourd’hui, peut-être me serais-je autorisé de la confiance que M. de Chantelou a mise en moi, à votre égard, pour vous engager à quitter Rome. Dans la disposition où vous êtes, ajouta le Poussin, qui vit bien que le jeune homme souriait à l’avis qui lui était donné, je vous donnerais même le conseil de renoncer à tout ce qui se rapporte aux affaires de cour et de gouvernement. Croyez-moi, rentrez en France, allez retrouver votre pays, votre famille, et vivez dans l’obscurité : c’est ce que