Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/467

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monde où toutes les choses sérieuses, même la probité et l’honneur, sont des objets de dérision. » Après cet exorde, M. de Beauvoir rapporta tous les détails de son séjour à Genève et de son arrivée à Rome, lorsque l’abbé Segni, le joaillier et lui se trouvèrent mêlés, à leur insu, à l’achat du collier destiné à dona Olimpia par le cardinal Mazarin. Il lui parla ensuite du rôle d’espion que l’on prétendait lui faire jouer à Rome, sous prétexte de veiller aux intérêts de la cour de France ; il insista sur l’indulgence facétieuse avec laquelle les faux et les vols commis journellement à la daterie apostolique étaient racontés par certains Français dont il était entouré à l’ambassade. Il dit que toutes les friponneries de Mascambruno étaient journellement vantées devant lui, comme les opérations d’un génie supérieur ; que l’honnête Cecchini était traité de sot, et que l’horrible, l’infâme dona Olimpia, car la colère et le mépris que lui inspirait cette femme lui arrachèrent ces expressions, était une éhontée et une impie, dont le regard seul déshonorait celui sur qui il était tombé : « Croiriez-vous, monsieur Poussin, ajouta de Beauvoir avec l’accent de l’indignation, qu’il y a trois jours, forcé par les ordres de monsieur l’ambassadeur à qui j’appartiens, de le suivre chez cette femme à qui il se croit obligé, comme tant d’autres, de faire la cour, elle a eu l’audace de venir jusqu’à moi, voyant que je n’allais pas vers elle, pour me féliciter sur le voyage que j’avais fait avec l’abbé Segni, ayant soin, pour que je ne doutasse pas du remercîment qu’elle prétendait me faire, de passer ses doigts avec affectation entre les perles de ce maudit collier avec lequel on m’a fait venir ici ? Je suis devenu rouge comme la plume de mon chapeau. Mais cet affront ne suffisait pas encore. Tous ceux qui avaient été témoins de cette scène vinrent à moi, et par des mots entrecoupés ou des regards flatteurs, me félicitèrent de l’insigne faveur que je venais de recevoir de la sangsue du peuple romain. Le lieu où j’étais, la présence des personnes élevées en dignité qui se trouvaient au palais Pamphile, me forcèrent de garder le silence. Mais mon cœur était plein, et l’on m’aurait craché au visage que je ne me serais pas senti plus disposé à faire un éclat.