Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/481

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pas frayer avec elle, qu’il la méprisait, elle, ses richesses et sa faveur ; lui seul s’est dégagé avec éclat des embûches que lui tendaient les courtisans ; loin de vouloir prendre part à leurs rapines, il les a attaqués, il les a frappés de son épée quand ils ont voulu l’enrôler par adresse dans la compagnie des aigrefins et des fripons. Quant à nous tous, honnêtes gens, ou au moins réputés tels, que faisons-nous ? de beaux discours sur le malheur des temps et l’infamie des gens puissants. Ou bien, ajouta le Poussin avec un accent ironique où perçait une profonde indignation, nous écrivons de savants traités sur les gouvernements de la Grèce et de Rome, nous cherchons des médailles ou déterrons des statues ; l’un commande des tableaux où sont célébrées les vertus des anciens âges, et il s’en trouve un autre qui les compose et les peint platement dans son atelier, faisant un métier pour vivre comme son voisin le tailleur. Ah ! mon ami, s’écria le Poussin, en s’arrêtant tout à coup devant le chevalier del Pozzo, vingt balles reçues dans la poitrine en faisant rentrer la garnison victorieuse à Porto-Longone, voilà un sort bien préférable au nôtre. Dans cent ans, dans deux siècles, où pourra-t-on trouver les actes des honnêtes gens qui ont vécu de notre temps ? Dans des livres, dans des galeries ; peut-être aussi sur des tableaux, ajouta le peintre en montrant avec mépris ceux qu’il achevait. Ah ! malheur à ce siècle ! L’honneur de la vie active restera à l’impie, à l’avare dona Olimpia et à tous ceux qui lui ressemblent, et l’on ne saura même pas que des hommes tels que le jeune de Beauvoir ont vécu en même temps qu’elle ! »


Il y a un siècle et demi que cette femme est morte, et il en est de dona Olimpia aujourd’hui comme de tant de personnages qui ont fait grand bruit de leur vivant ; on n’en parle plus guère. Cette femme qui avait tant de pouvoir sur l’esprit des hommes de son temps, qui exerçait une influence si active sur la cour de Rome et sur plusieurs souverains de l’Europe, qui gouvernait le pontife et le collège des cardinaux et imprimait de la crainte au peuple de Rome en le bravant, n’a plus d’empire aujourd’hui que sur les petits enfants d’un des faubourgs de cette ville.