Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/480

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voir acquis une grande célébrité qui satisfasse le cœur et l’âme d’un homme sincèrement honnête. Les gens de cette trempe ont un besoin tout à la fois plus noble et plus impérieux : celui d’avoir acquis la certitude qu’une fois en la vie au moins, ils ont fait tout ce qui leur était donné de faire ; qu’ils ont employé la faculté principale que le ciel leur a départie ; c’est d’avoir vécu de manière à ce que l’on n’ait point à rougir en soi-même des louanges que vous prodiguent parfois les hommes ; c’est enfin d’avoir bien fait, bien agi dans l’étendue du cercle que nos forces peuvent embrasser. M. de Beauvoir a vécu vingt-cinq ans ; mais trois mois lui ont suffi pour commencer et remplir sa véritable vie. Non, je ne puis le plaindre, mon cher chevalier, ajoutait tristement le Poussin ; je trouve même son sort heureux, puisque son âme a trouvé l’occasion si rare de s’élancer à son gré là où elle a voulu ! Croyez-moi, c’est ici, c’est lorsqu’il était à Rome, qu’on était en droit de le plaindre et que si souvent j’ai gémi sur son sort. Ah ! si comme moi vous eussiez reçu les confidences de ce noble enfant, lorsqu’il s’échappait du monde corrompu où il était forcé de vivre ; si vous saviez combien le spectacle continuel des sales intrigues, des basses injustices et de l’effroyable avarice de ce temps, donnait de malaise à son âme ; si vous pouviez juger de l’état de perversion auquel le vide et l’oisiveté de son cœur réduisaient ses qualités les plus nobles et les plus pures ; si vous aviez pu apprécier les angoisses déchirantes de ce cœur noble qui se sentait si ardent à vivre et mourait faute d’un aliment qui lui convînt ; non, mon ami, vous ne le plaindriez pas d’être mort à la fleur de l’âge en servant son roi et son pays... Mais qu’ai-je dit qu’il n’a commencé à vivre que quand il a pris le parti des armes ! ajouta le Poussin, qui, en se promenant devant le chevalier del Pozzo, s’animait de plus en plus, sa conduite, ici à Rome, a été admirable et fait honte à tous ceux qui, comme vous et moi, gémissent lâchement à l’ombre du spectacle honteux des vices, sans faire un pas, sans dire un mot pour les attaquer ouvertement. M. de Beauvoir est le seul qui ait eu le courage de faire entendre à dona Olimpia, et jusque dans son palais, qu’il ne voulait