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occasion la comtesse de Soulanges céda à l’émotion profonde que lui fit éprouver l’état de sa fille. Mais, habituée à se contenir, elle dissimula ce qu’elle ressentait intérieurement, pour surveiller son enfant jusqu’à la rentrée au château et lui faire éviter les regards de son père et des deux ecclésiastiques.

À peine fut-on arrivé, qu’après avoir fait rentrer Louise, qu’elle confia à sa femme de chambre, elle vint au salon, où elle établit son mari et M. de Lonzac à une table de jeu, près de laquelle elle fit asseoir le curé.

Elle mourait d’impatience de revoir sa fille. Enfin, les joueurs s’étant mis à leur trictrac, madame de Soulanges, certaine alors que la société ne s’occuperait plus d’elle, s’évada presque furtivement du salon pour courir à la chambre de Louise. À peine fut-elle entrée qu’elle y trouva sa fille déshabillée, et près de se mettre au lit, mais agenouillée, les mains jointes, et fixant son regard avec une ardeur extraordinaire sur le crucifix attaché au fond de son alcôve. À ce spectacle, madame de Soulanges se sentit le cœur troublé par un mélange de joie et de terreur causé par la disposition pieuse et l’exaltation d’esprit inaccoutumées où se trouvait sa fille.

— Louise... Louise, dit-elle d’une voix tout émue, comment vous sentez-vous maintenant ?

En entendant ces paroles, mademoiselle de Soulanges tourna la tête vers sa mère, et la regardant avec des yeux où brillaient une joie, une fierté et un air d’enthousiasme qui leur prêtaient un éclat difficile à supporter :

— Je suis mieux, maman, dit-elle ; je suis bien, très-bien à présent.

Elle prononça ces mots avec vivacité et en souriant ; elle joignait aussi fortement ses mains l’une contre l’autre, en portant un regard alternatif sur la croix et sur sa mère.

— Qu’as-tu donc, mon enfant ? demanda la mère en s’asseyant sur le bord du lit et en serrant étroitement Louise dans ses bras ; qu’as-tu donc ?

— Ah ! maman, répondit Louise, je suis bien heureuse ; et tout en laissant échapper ces paroles, qu’une joie inté-