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subir la dernière épreuve qui précède l’entrée dans le séjour de la vie éternelle.

» Cette épreuve, Robert, tu vas savoir en quoi elle consiste ; mais il faut que tes yeux dardent des regards prompts, subtils et aigus comme une flèche d’acier. Dans l’épaisseur de ce mur de diamant, dis-moi, peux-tu découvrir et distinguer une multitude de petits points bruns qui se meuvent avec peine en tendant du côté où je suis ? Ce sont les larves épurées qui s’épurent encore en traversant le diamant. Mais, si ta vue peut s’aiguiser encore, suis ces petits points qui deviennent toujours moindres à mesure qu’ils avancent, et tu reconnaîtras que, marchant avec plus de vitesse, ils semblent nager sans peine à travers une matière qui, pour vous, dans le monde, passe pour la plus dure et la plus impénétrable.

— Oh ! je les vois ! je les vois ! quelle multitude d’âmes ! s’écrièrent tout à coup Robert et ses compagnes.

— C’est alors que l’on a dépassé ce mur de diamant, reprit Zénobie avec calme, que la résurrection de la chair a lieu. Vous tous, il vous faudra subir cette dernière épreuve ; elle est inévitable. Mais celui qui commande ici et en tous lieux, se propose, lorsque votre heure sera venue, de vous épargner la première épreuve de la grande muraille, à moins que d’ici là vous ne vous rendiez indigne de son indulgence. C’est une grâce particulière qu’il accorde à tous ceux qui, comme vous, ne consument pas leur vie à satisfaire des passions égoïstes, qui ne sont ni avares, ni ambitieux, ni courtisans, ni éhontés ; mais qui, jusque dans leurs fautes et leurs égarements mêmes, conservent des sentiments nobles et désintéressés, et sacrifient à leurs affections leur temps, leurs pensées, leurs richesses et jusqu’à leur repos même. Ah ! Robert ! quelle épreuve longue et cruelle subissent ceux qui aiment sur la terre ! Il est bien juste qu’on leur en tienne compte après la mort !... Pauvre Robert ! ton cœur a toujours besoin d’aimer. Moi qui connais tes peines maintenant, que je te plains, et que le monde où tu es s’accorde peu avec la disposition de ton âme ! Ah ! dans ton ignorance terrestre, tu crois connaître, tu te flattes de sentir l’amour. Si tu savais