Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/578

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

immense de jouir dès ce moment de la durée de cette inconcevable félicité.

Mais il ne pouvait en être ainsi, et il fallait quitter le limbe. Avant d’en sortir, Robert et ses compagnes témoignèrent leur tendresse à Zénobie par mille mots entrecoupés, par des signes et des gestes qui suppléaient aux expressions qu’ils ne pouvaient plus trouver. Dans l’effusion de leur joie profonde, et comme pour soulager un sentiment dont la puissance les oppressait, ils s’embrassaient les uns les autres ; ils fondaient en larmes de joie ; ils se félicitaient d’éprouver une tendresse réciproque si vive et si sincère ; ils se juraient de ne plus se quitter et de vivre toujours réunis, car ils ne comprenaient plus que le bonheur de l’un d’eux ne fût pas désormais indispensable à celui de tous les autres.

Ce fut pendant ce moment d’ivresse ineffable qu’une puissance à laquelle personne d’entre eux n’eut même l’idée de résister, fit rentrer Robert et sa troupe dans le souterrain de la muraille pour les ramener vers la plaine et les rejeter dans le monde.

Remplis encore des sentiments de tendresse divine dont leurs cœurs s’étaient enivrés, ils marchèrent assez gaiement à la lueur, vive encore, qui éclairait cette partie de la voûte. Mais à mesure que l’obscurité devint plus profonde, et au moment où, à ce souvenir de tout ce qu’ils venaient de voir et d’éprouver, succéda la crainte de reprendre le joug de la vie mortelle, et de retrouver ces angoisses qu’y font naître les sentiments mêmes les plus doux, le découragement et le chagrin s’emparèrent d’eux. Aux deux bras de Robert, qui marchait la tête baissée, vinrent s’attacher Caroline et Flavie, que la terreur rendait pâles et tremblantes ; Thérèse, toujours triste, les suivait à quelques pas de distance ; et il n’y avait que Lucie dont l’âme et le pied fussent libres.

Cependant, plus ils descendaient vers le côté extérieur de la grande muraille, plus l’obscurité s’épaississait ; plus aussi leurs oreilles étaient frappées des gémissements, des cris de désespoir que jetaient les malheureux engagés et se traînant dans les détours de cet horrible labyrinthe. Déjà le souvenir des douces émotions qu’ils avaient ressenties dans le limbe