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commençait à s’affaiblir comme un songe gracieux auquel le réveil fait succéder la triste réalité. Thérèse devenait sombre, Lucie elle-même éprouvait une inquiétude vague, et enfin Caroline et Flavie, collées chacune à un bras de Robert, sentaient croître l’une pour l’autre un sentiment de défiance qu’il leur était impossible de vaincre.

Pendant que tous ils marchaient ainsi dans un morne silence, une horrible réflexion s’empara au même instant de leurs esprits, bien qu’aucun soupir, aucun geste même, n’avertît les uns de ce que pouvaient penser les autres. Mais enfin tous, dans le même moment, se souvinrent de cette ivresse d’amour qu’ils venaient de goûter, de cette douce charité réciproque qui, peu de minutes avant, ne faisait qu’une âme de toutes les leurs ; et ils versèrent tous des larmes amères de ce que leur cœur, perdant peu à peu la faculté d’expansion, semblait au contraire se retirer toujours plus sur lui-même.

Robert ne put échapper à l’influence de cette triste disposition intérieure. Vainement cherchait-il à se faire illusion, à se persuader qu’il portait encore une charité également bienveillante à toutes ses compagnes de voyage : il était forcé de s’avouer que Caroline et Flavie touchaient plus vivement son cœur que les autres, et que celle-ci surtout le préoccupait déjà presque exclusivement.

Ils arrivèrent à l’entrée du souterrain sans oser se dire une seule parole. Il semblait qu’ils eussent des reproches à se faire. À peine en furent-ils sortis, et eurent-ils revu la vaste plaine, qu’ils entendirent rouler une roche qui referma l’entrée de la grande muraille.

Le jour finissait. La plaine brune se perdait à l’horizon, et vers la droite du ciel dégagé de nuages, mais sombre et chargé de vapeurs, apparaissait immense la moitié du disque de la lune.

Alors Robert et ses compagnes éprouvèrent un de ces découragements que fait naître l’apparition d’un obstacle ou d’un malheur que l’on n’a ni l’envie ni le courage de surmonter. Épars sur le bord de cette plaine, immobiles, les bras pendants, ils regardaient d’un œil triste, l’un d’un côté,