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l’autre de l’autre, comme des gens qui ne savent où diriger leurs pas dans un espace qui ne mène que vers des lieux où l’on redoute d’aborder.

Lucie fut celle dont la résolution s’affermit le plus promptement, et qui rompit le silence la première.

« Pour moi, dit-elle, je reprends le sentier par lequel nous sommes venus. Je vais retrouver mon Octave. Il m’attend sans doute avec impatience, ajouta-t-elle en reprenant peu à peu son enjouement accoutumé. Je vous quitte donc, mes chères compagnes ; que Dieu vous conduise ! Quant à toi, pauvre Robert, prends garde en rentrant dans notre monde ! Tu veux absolument y trouver un bonheur qui n’y est pas, qui ne peut y exister, et qui, quand il s’y montre par hasard, ne peut avoir de durée ! Prends garde !... Adieu, Robert ; que Dieu soit avec toi ! Tu sais l’amitié que je t’ai portée, que je te porte ; je t’aimerai toujours de même ; et ici, comme quand nous serons définitivement admis dans l’enceinte de diamant, tu me trouveras toujours la même. Donne-moi la main ; adieu ! »

En achevant ces mots, elle se mit en marche d’un pas ferme, léger, égal, et laissa la troupe plongée dans son incertitude pénible.

Lucie était si alerte en marchant, que les autres la perdirent bientôt de vue. Mais Thérèse ne tarda pas à engager Robert à faire quelques pas à l’écart pour ne pas être entendue, puis, tirant un bijou caché dans sa poitrine et le montrant à Robert :

« Tu le vois, dit-elle à voix basse, c’est ton image ; elle ne me quittera que quand on me l’arrachera dans les cavernes de la grande muraille ; car je ne t’oublierai jamais volontairement. Mon sort est de vivre vierge et veuve sur la terre ; c’est toi qui l’as voulu. Adieu ! »

Elle se retourna aussitôt, porta ses deux mains sur ses yeux, et laissant échapper quelques sanglots étouffés, elle s’enfuit du côté opposé à celui où se levait la lune, en sorte que le noir de son vêtement se confondit promptement avec l’obscurité.

Le cœur de Robert fut glacé ; mais il s’en fallait bien qu’il