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on l’appela à haute voix pour la faire revenir à elle ; mais le tout sans succès. Peu après, Ginevra ne fit plus aucun mouvement ; son pouls cessa de battre, et enfin tous les assistants la crurent morte.

D’abord la douleur fit pousser des gémissements ; mais bientôt la terreur succéda aux plaintes, et se répandit de la maison mortuaire dans toute la ville. En un instant le bruit courut que Ginevra était morte de la peste. On pressa, on ordonna l’enterrement, et sitôt que le corps fut enseveli, on le porta dans le cimetière de la cathédrale, près de la tour du clocher. On a montré longtemps la place qu’occupait la pierre un peu fendue, sur laquelle étaient gravés un A et un G, les initiales de Ginevra Amieri. C’est là que les familles réunies des Amieri et des Agolanti rendirent les derniers devoirs à Ginevra. La cérémonie fut courte ; car, à cette époque terrible, pendant les obsèques des morts, on était plus occupé de l’idée de la contagion que du deuil. Cependant, Antonio, qui avait accompagné le convoi, resta plus longtemps près du tombeau. Longtemps il y exhala son profond chagrin par des pleurs et des gémissements, et ce ne fut qu’avec bien de la peine et du regret qu’il s’arracha de cette place pour rentrer chez lui. « J’avais bien perdu déjà, se disait-il à lui-même en regagnant sa maison, mais la mort m’a ravi le seul bien qui me restât. » Et il pleurait.

Ginevra était déposée dans le monument ; on la croyait morte. Mais ses sens, après être restés engourdis quelque temps, furent réveillés par la douleur ou par quelque autre cause que l’on ignore. Ce qui est certain, c’est que cette jeune dame en reprit l’usage vers les deux heures de nuit. Heureusement, elle s’aperçut à l’instant même qu’on l’avait crue morte, et que, par suite de cette erreur, on l’avait enterrée. « Ah ! se dit-elle, si j’ai peur, je suis perdue ! O Vierge pure ! bienheureuse sainte Vierge, dans cette extrémité porte-moi secours, je n’espère qu’en toi ! » Alors elle souleva sa tête avec effort, et son bon destin voulut que la fente de cette pierre dont il a été question laissât pénétrer un rayon de la lune, qui vint frapper les yeux de cette infortunée. À la vue de cette faible lumière, Ginevra se mit sur son séant et re-