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de sa figure, combien cette pensée lui était pénible, que sa cousine fut obligée de lui faire quelques caresses pour le calmer.

— Allons, mon ami, dit-elle, ne vous effrayez pas des mots ; vous êtes mon confesseur ce soir, et vous devez entendre tout. Oui, j’ai pensé souvent que, pleins d’amour et d’estime l’un pour l’autre, nous serions passablement heureux amant et maîtresse ; c’est mon mariage à moi, qui n’ai nulle confiance en l’autre. Mais sans parler de l’air de désordre attaché à ce genre de liaison, et auquel j’aurais peine à me faire, j’ai réfléchi que, quelque position que vous ayez dans le monde, je vous y ferais tort ; et qu’enfin, car ce maudit mariage aboutit à tout, il arriverait après quelques années, que vous traîneriez avec moi le double fardeau des embarras que causent une ancienne maîtresse et l’ennui d’être à moitié marié. Voilà, mon cher ami, tout ce que j’avais à vous dire au sujet de notre projet de mariage, et les raisons pour lesquelles je désire n’être jamais votre femme ni votre maîtresse. Je vous ai aimé, je vous ai adoré, et pour vous emprunter les douces paroles que vous m’adressiez il y a un an, je vous dirai que je vous aime et vous adore encore. Oui, il y a dans la tendre affection que je vous porte toute la fraîcheur et la vivacité d’un amour qui commence. Clouons donc la roue de la fortune là où elle s’est montrée favorable pour nous, et ne gaspillons pas notre bonheur en cherchant follement à en prolonger indéfiniment la durée.

— Ah ! grand Dieu ! quel sacrifice exigez-vous de moi, Justine, dit Ernest, et pourquoi faut-il que votre esprit se plaise à rassembler de si étranges raisons pour me rendre malheureux ! Pensez donc aux tristes conséquences qui résulteraient pour moi d’une approbation, si je vous la donnais sans réserve.

— Vous balancez donc, mon ami ? lui dit sa cousine ; vous avez tort. Le pacte que je vous offre de faire est précisément aussi avantageux et aussi onéreux pour l’un comme pour l’autre. Si vous imaginez, Ernest, que vous seul faites des efforts et avez besoin de courage, vous êtes dans l’erreur ; le seul avantage que me donne mon sexe sur vous, c’est que