Page:Delille - L Homme des champs 1800.djvu/51

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Muse, viens, conduis-moi dans leurs sentiers déserts :
Le spectacle des champs dicta les premiers vers.
Sous ces saules touffus, dont le feuillage sombre
A la fraîcheur de l’eau joint la fraîcheur de l’ombre,
Le pêcheur patient prend son poste sans bruit,
Tient sa ligne tremblante, et sur l’onde la suit.
Penché, l’œil immobile, il observe avec joie
Le liége qui s’enfonce et le roseau qui ploie.
Quel imprudent, surpris au piége inattendu,
A l’hameçon fatal demeure suspendu ?
Est-ce la truite agile, ou la carpe dorée,
Ou la perche étalant sa nageoire pourprée ;
Ou l’anguille argentée, errante en longs anneaux ;
Ou le brochet glouton, qui dépeuple les eaux ?
Aux habitans de l’air faut-il livrer la guerre ?
Le chasseur prend son tube, image du tonnerre ;
Il l’élève au niveau de l’œil qui le conduit ;
Le coup part, l’éclair brille, et la foudre le suit.
Quels oiseaux va percer la grêle meurtrière ?
C’est le vanneau plaintif, errant sur la bruyère :
C’est toi, jeune alouette, habitante des airs !
Tu meurs en préludant à tes tendres concerts.
Mais pourquoi célébrer cette lâche victoire,
Ces triomphes sans fruits et ces combats sans gloire ?
O muse, qui souvent, d’une si douce voix,
Imploras la pitié pour les chantres des bois,