Page:Delluc - Monsieur de Berlin, 1916.djvu/28

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porte du palier, l’harmonium chantait comme une prière.

— Attendons qu’il ait fini, dis-je à voix basse.

— Non. Venez.

Anna ouvrit la porte sans bruit et me poussa devant elle. Elle n’osa tout de même pas parler.

Je regardai le fou assis devant le clavier. Il ne prenait pas garde à nous et n’écoutait que la musique, que lui même. Quelquefois, il accompagnait le chant de l’instrument avec une sourde modulation à bouche fermée.

Je ne voyais pas bien son visage qu’il penchait sur ses mains en jouant. Je ne voyais qu’un profil perdu marqué d’une grosse moustache. Ce qui me frappait le plus, c’était son dos, ses épaules, fortes, larges, mais voûtées, comme accablées d’une fatigue surhumaine. Il était vêtu d’un complet en flanelle blanche.

Il jouait.

Je commençais à trouver qu’il jouait trop longtemps et je me retournais vers Anna pour lui dire d’intervenir, mais elle n’était plus là, la porte était refermée. Que faire ?

Je reportais mes yeux sur le fou. Les siens me regardaient. Il n’avait pas cessé de jouer, mais son visage, levé soudain, restait tourné vers moi. Le front était puissant et dévasté de fièvre,