Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/164

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l’indépendance des idées — si l’on se reporte au temps où Manette fut écrite — ne le cède en rien à la nouveauté de la forme ; car il n’est pas inutile de noter que ce livre, imprégné de moderne, a fait presque scandale, il y a vingt ans, quand il affirmait que « dans le grand mouvement du retour de l’art et de l’homme du dix-neuvième siècle à la nature naturelle, dans cette étude sympathique des choses à laquelle vont, pour se retremper et se rafraîchir, les civilisations vieillies, dans cette poursuite passionnée des beautés simples, humbles, ingénues de la terre, qui restera le charme et la gloire de notre école présente, » étaient renfermés l’originalité et l’honneur de la peinture française. Alors déjà il faisait dire à Coriolis, ce que j’affirme vrai pour l’avoir vu de mes yeux, que l’Orient de Decamps, saucé de bitume à la Rembrandt, vrai peut-être en Afrique et en Égypte, était le contraire de l’Orient de l’Asie-mineure et de la Syrie : « un pays de montagnes et de plaines inondées une partie de l’année… C’est une vaporisation continuelle… Tenez ! une évaporation d’eau de perle ; tout brille et tout est doux. La lumière, c’est un brouillard opalisé… avec des couleurs comme un scintillement de morceaux de verre coloré. » De cet Orient-là, spongieux, blond et nuancé, Delacroix, Decamps, Marilhat n’ont pas donné l’impression. On en parlait pour la première fois en France. M. Renan n’avait pas écrit encore les paysages de Galilée de la Vie de Jésus ni ce merveilleux passage d’une brochure intime qui n’a pas franchi le cercle de la famille et de l’amitié : « Rien n’égale, en automne et au printemps, le charme de la Syrie. Un air embaumé pénètre tout et semble communiquer à la vie quelque chose de sa légèreté. Les plus belles fleurs, surtout d’admirables cyclamens, sortent en touffe de chaque fente de rocher ;