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dans les plaines, du côté d’Amrit et de Tortose, le pied des chevaux déchire des tapis épais, composés des plus belles fleurs de nos parterres. Les eaux qui coulent de la montagne forment, avec l’âpre soleil qui les dévore, un contraste plein d’enivrements. »[1]

On a souvent reproché aux Goncourt leur tendance qui se produisait sous toutes les formes, à ne point accepter les idées reçues, à les poursuivre d’un ton gouailleur, sans hésitation et sans pitié. Sur Ingres, sur Delacroix, sur l’école d’art de la Villa Médicis, ils ont lancé cent fois, dans Manette Salomon, des flèches barbelées de critiques qui semblent siffler de l’arc de Chamfort.

Qu’on pardonne cette parenthèse : l’âge n’a pas apaisé l’originalité militante de M. Edmond de Goncourt. On retrouvera la même ardeur et le même goût d’innovation dans une lettre inédite qu’il écrivait récemment à Mme Alphonse Daudet pour lui demander des nouvelles de son mari que les médecins avaient envoyé aux eaux de la Malou, dans les Cévennes :

23 août 85.
Chère madame,

Voilà donc notre cher malade là-bas ! Comment a-t-il supporté le voyage et comment se comportent avec lui les eaux, pour commencer. Moi, je suis toujours en mon hôtel, ainsi que m’écrivent des tireurs de carottes, et n’ai point encore de nouvelles de la princesse. Ah ! décidément, l’été n’est pas la saison des vieux garçons et je me trouve cette année d’un seul, d’un célibataire, qu’il me prend envie de pleurer. Enfin, ce qui ne m’est jamais arrivé, je passe des journées au musée, oui, parole d’honneur ! Mais la compagnie de ces chefs-d’œuvre culottés me remplit de noir, me met du bitume dans l’âme, — et puis, entre nous, ils ne me paraissent pas si chefs-d’œuvre que cela. Il faut vous dire que j’ai été longtemps hanté par l’idée de faire un catéchisme révolutionnaire de l’art où je mettrais à néant toutes les blagues consacrées, où je prouverais que tel

  1. Henriette Renan, Souvenirs pour ceux qui l’ont connue.