Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/170

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modèles de Paris, hommes et femmes — une merveille de style descriptif — l’ouverture du Salon qui est un excellent morceau de genre, une scène enfin, celle de la première pose de Manette dans laquelle la précision du mot et la plastique de l’épithète arrivent à rendre cette création du cerveau humain aussi visible, aussi palpable, aussi réelle que la vie elle-même. »

Sur ce livre, pour et contre, voici les morceaux les plus marquants qu’écrivaient les critiques français en l’année impériale 1867. C’est maigre ! Pas un n’a songé à dégager du livre sa portée morale, sa philosophie et son esthétique. À vrai dire, hors du sentiment moderne qui l’imprègne, comme son air ambiant, elles n’apparaissent pas clairement. L’exécution recouvre trop magnifiquement le fond. Souvent, dans des tirades bientôt haletantes et saccadées, les idées se succèdent et tourbillonnent, comme forcées par le souffle d’un vent furieux. Le style capiteux et vibrant s’en empare. Alors commence une musique à la Schumann, raffinée, audacieuse ou violente, franchissant par soubresauts des intervalles inouïs ou rendant les inflexions nuancées d’un battement d’ailes. C’est la vie, mais un accès de fièvre de la vie, l’effort maladif de deux esprits déchaînés. Le lecteur enlevé traverse, avec eux, les chocs hardis des idées ou leurs alliances inattendues, saisit le bonheur d’un mot coupé de ses racines qui fait la fortune d’une phrase ou se balance aux modulations capricieuses d’une douceur énervante.

Mais, rendu à lui-même, son admiration va moins aux penseurs qu’aux exécutants. Il semble que les auteurs se soient sentis satisfaits, suivant la théorie de l’art pour l’art, quand, dans le milieu plein d’excitation cérébrale qu’ils s’étaient créé, leur style avait moulé les